Frida Kahlo et Diego Rivera, les amants terribles (2024)

Frida Kahlo (1907-1954) et Diego Rivera (1886-1957), la colombe et l'éléphant, font parties des couples d'artistes les plus connus de l'histoire de l'art. Alors que Frida Kahlo est célébrée actuellement au Centre Pompidou, dans le cadre du parcours #PompidouVIP, retour sur la vie de cet iconique couple de peintres des temps modernes.

Jamais prénom ne fut plus farouchement revendiqué. Jamais il ne fut si peu en accord avec la personnalité de celle qui le porta. Paradoxe ? Au père de Frida Kahlo, un Allemand immigré en terre mexicaine qui souhaitait donner à sa fille ce beau nom de « paix», dans sa langue natale, le prêtre opposa qu’il n’existait pas de sainte Frida. On le relégua donc en troisième position, où Magdalena Carmen Frida alla le rechercher et s’en fit un étendard pour la vie. Mais les dieux, catholiques ou aztèques, sont têtus et eurent le dernier mot : la paix fut toujours un concept plus poétique que réaliste dans l’histoire de Frida. André Breton la gratifia d’un commentaire surréaliste : «L’art de Frida Kahlo de Rivera est comme un ruban autour d’une bombe».

De l’art tiré d’une vie tragique

La poésie, justement. Âpre et cruelle, parfois cocasse, elle enrobe sa vie tel le réseau des veines qui font battre son cœur. «Jamais auparavant, une femme n’avait créé de poésie aussi déchirante sur la toile», écrit Diego Rivera en 1932, alors que Frida manque de mourir d’une fausse couche à Detroit. De cet épisode tragique, elle tireraHenry Ford Hospital, une petite huile sur métal, très semblable à un ex-voto. On la voit nue, couchée sur un lit de fer dans une mare de sang, entourée d’images flottantes : un fœtus, une orchidée, un appareil à stériliser… Frida a demandé à Diego un manuel de médecine illustré, que les médecins lui refusaient, craignant le traumatisme. Rivera leur a répondu : «Vous n’avez pas affaire à n’importe qui. Frida va en faire quelque chose. Une œuvre d’art». En effet. De l’ex-voto, Frida l’athée emprunte seulement la faculté de sacraliser le moment, pas plus, pas moins. Pas besoin d’invoquer un saint protecteur, jamais la douleur ne sera rédemptrice. Mais l’art lui donne le courage de la vivre.

Frida Kahlo, Portrait au collier et au colibri, Nickolas Muray Collection, Harry Ransom Humanities Research Center, The University of Texas at Austin © 2007 Banco de México Diego Rivera & Frida Kahlo Museums Trust. Av. Cinco de Mayo No. 2, Col. Centro, Del. Cuauhtémoc, 06059, México D.F.. Photo ©Flickr/libby rosof

Une jeunesse brisée

Elle le sait mieux que personne, elle dont la souffrance est la compagne ordinaire, son chaperon depuis l’enfance, À 8 ans, Rida l’espiègle est frappée par la poliomyélite, qui lui laissera la jambe droite atrophiée. «Data de palo», Frida la bancale. Une entrée en matière… Le 17 septembre 1925, elle s’installe avec son amoureux d’alors au fond d’un de ces bus qui sillonnent Mexico. Le reste relève du film d’horreur. Un tramway glissevers le bus en pleine course, qu’il percute en son milieu. Le bus plie puis explose. On dégage des morts des décombres. La colonne vertébrale de Frida estbrisée, son épaule démise, sa jambe droite en morceaux, son pied écrasé. Comme si cela ne suffisait pas, elle a été transpercée au niveau du bassin par une barre de fer. Mais l’ange du bizarre est passé par là: le sachet de poudre d’or que transportait un artisan s’est rompu sous le choc, son contenu a couvert d’un voile resplendissant le corps nu et sanglant de Rida. Les passants s’écrient «La bailarina !», croyant qu’il s’agit d’une danseuse échouée sur le macadam.

Un changement de vie

La vie de Frida Kahlo change de voie. Plus question d’études de médecine. C’esten patiente qu’elle va s’y confronter. Commence alors l’épuisante ronde des chambres d’hôpital, des opérations, des corsets et des appareils orthopédiques, des traitements expérimentaux, aussi, qui ne s’arrêtera qu’avec sa mort. La jeune fille reste allongée sur le dos des semaines entières. Elle lit Proust, Bergson… Puis sa mère accroche un miroir au baldaquin du lit, lui bricole un chevalet, son père lui apporte une boîte de couleurs. Peindre, et échapper à l’enfer de l’ennui. Trèsvite, l’autoportrait s’impose. En cinquante-six autoportraits (un tiers de son œuvre) et trente années, son art va parcourir le champ clos de ce genre. Du premierAutoportrait la robe de velours, silhouette àla Modigliani, jusqu’au quasi ultimeAutoportrait avec Staline, elle trace son autobiographie, révélant, selon Carlos Fuentes, «les identités successives d’un être en devenir d’un être qui n’est pas encore».La Colonne brisée(1944) témoigne avec une force inégalée de son angoisse.

Frida Kahlo, The Frame, 1938 © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Dist. Rmn-Gp, © Banco de México Diego Rivera Frida Kahlo Museums Trust, Mexico, D.F./Adagp

Un saint Sébastien moderne

Après une énième intervention chirurgicale, Frida s’est représentée nue, enfermée dans un harnachement orthopédique, constellée de clous telle un saint Sébastien moderne. Son corps béant découvre une colonne ionique lézardée,fichée dans ses entrailles. Ce corps supplicié, sacrifié, c’est aussi celui que ses artistes préférés, Brueghel, Bosch, lui ont montré dans leurs danses macabres. Et il faut compter également avec Goya et Van Gogh, et encore Rembrandt, Blake et le Douanier Rousseau, plus quelques fragments de l’histoire aztèque et des traditions populaires : Frida est née dans ce Mexique qui revendique une identité affranchie du joug occidental ; elle collectionne les ex-votos et lesJudasen papier mâché, ces squelettes dont on fait un feu d’artifice le jour des Morts. À ce mélange, on doit ajouter la lecture de Freud et de Jung. Pour être autodidacte, Frida Kahlo n’est ni inculte ni ingénue et sa peinture est nourrie d’une vaste culture.

Diego Rivera, le mentor

Etpuis, bien sûr, il y a les échanges avec Diego Rivera, son mentor, son alter ego. Rivera, le plus grand peintre mexicain. Diego, son époux et son frère, son tourment et sa félicité, sa victoire et sa défaite. Diego dont elle écrira: «J’ai eu deux accidents graves dans ma vie. L’un, c’est quand un tramway m’a écrasée. L’autre, c’est Diego». Elle a 15 ans quand elle le découvre, peignant des fresques dans l’amphithéâtre de son école. En 1928, elle le retrouve chez Tina Modotti, photographe italienne installée à Mexico et inscrite au Parti communiste, comme elle. Elle lui montre ses peintures, il l’encourage, ils se marient le 21 août 1929. Union de« l’éléphant et de la colombe »,improbable, incertaine, mais quiva occuper leur vie entière, avec fracas, et les faire entrer ensemble dans la légende.

Diego, son seul fils

À 41 ans, Diego Rivera est un muraliste mondialement connu. Entre 1907 et 1920, il a vécu en Europe et fréquenté àParis Modigliani (qui fait son portrait), Picasso, Apollinaire, l’historien Élie Faure et tous ceux qui font Montparnasse. Communiste, il rejoint en 1927 Moscou, où il peint une fresque pour le Cercle de l’Arillée Rouge. Il a eu des enfants un peu partout. Après trois grossesses avortées, Frida doit renoncer à la maternité : le seul fils qu’elle aura, c’est Diego, dit-elle. Sa passion pour lui prend toutes les formes de l’amour, et lui ne peut se passer d’elle : deux ans après leur divorce, en 1938,il l’épouse ànouveau, àSan Francisco. On réclame les fresques de Diego en Californie, à Detroit, au Rockfeller Center àNew York, elle voyage avec ce colosse habitéde forces telluriques et son univers s’élargit au monde.

Elle s’est créé un style vestimentaire unique, inspiré des femmes de Tehuantepec : vastes jupes colorées, bagues à tous les doigts, parures de jade précolombiennes, rubans et peignes dans ses cheveux tressés en couronne.Une allure de gitane céleste ou de déesse aztèque qui séduit, ô combien, monsieur et madame Trotski, accueillis en exil en 1937 dans la sublime Casa Azul, maison natale de Frida, enfouie sous les bougainvillées et refuge de tous les colibris de Coyoacan. Illico, le fondateur de la IVe Internationale vit avec elle une liaison secrète. En cadeau de rupture, Frida lui adressera un splendide portrait d’elle, aujourd’hui considéra comme la Joconded’un musée de Washington…

La Casa Azul de Frida Kahlo. ©Flickr/Lin Mei

Le désastre parisien

Ce sont peut-être ses jupons brodés de dictons grivois et sa liberté de parole (Frida jure comme un charretier) qui enthousiasment André Breton, débarqué en 1938. Le pape du surréalisme est subjugué par la peinture de Frida. Elle, beaucoup moins par lui. Elle refuse la récupération surréaliste mais accepte l’invitation àexposer àParis, après le grand succès de sa première exposition monographique àNew York en octobre 1938. Paris est un désastre. Breton ne tient pas ses engagements, aucune galerie ne l’attend et les intellectuels français lui donnent envie de vomir. «Marcel Duchamp m’a beaucoupaidée, c’est le seul de tous ces pourris qui est un vrai mec.» Finalement, l’exposition a lieu àla galerie Pierre Colle, mais ses œuvres sont noyées au milieu d’un bric-à-brac rapporté par Breton du Mexique, «rien que des merdes». Pourtant. Picasso, impressionné, lui offrira des boucles d’oreilles. Elsa Schiaparelli intitule une de ses robesMadame Rivera. La légende Frida Kahlo est en marche. Longtemps, elle va occulter son œuvre. De ce séjour parisien, il est resté The Frame(1938). Ce petit autoportrait est conservé aujourd’hui au Centre Pompidou et mis à l’honneur dans le parcours #PompidouVIP du musée.

Diego, l’admirateur

Diego, lui, tout infidèle et dévorant qu’il est, ne perd jamais de vue l’artiste. Ildémarche pour elle ses relations, fera de la Casa Azul un musée Frida Kahlo. Surtout, il parle de son travail, et si bien : «Je vous la recommande, non en tant qu’époux, mais comme admirateur enthousiaste de sonœuvre, acide et tendre, dure comme l’acier et délicate et fine comme une aile de papillon, aimable comme un beau sourire, et profonde et cruelle comme l’amertume de la vie».

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