1L’acupuncture est une médecine traditionnelle chinoise [1], cela semble aller de soi. Toutefois, depuis deux décennies, les historiens et anthropologues comme Paul Unschuld (1985, 2001), Judith Farquhar (1994), Elisabeth Hsu (1999, 2001, 2007), Volker Scheid (2002, 2007) et Kim Taylor (2005) ont insisté sur le fait que l’expression « Médecine Traditionnelle Chinoise » (MTC) n’est apparue qu’au XXe siècle. De surcroit, cette expression n’est utilisée qu’à l’étranger: en Chine, le qualificatif est « zhongyi », « médecine chinoise ». Selon ces chercheurs, l’apparition de la MTC n’est pas étrangère à la nature des relations politiques entre la Chine et l’Occident [2]. Cet article complète les travaux cités en s’intéressant à la réception de la médecine chinoise en France. Historiquement, cette réception peut être divisée en deux grandes périodes. La première s’étend des années 1670 aux années 1820. Elle est marquée par quelques rares publications, écrites au tournant du XVIIe siècle, par des missionnaires jésuites installés en Chine et par des médecins de la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales au Japon [3]. La seconde période va des années 1860 aux années 1980. À la différence de la période précédente, les sources se multiplient, modifiant progressivement le paysage de la médecine chinoise en France.
2Cet article examine la seconde période. Il s’intéresse à la réception de l’acupuncture chinoise dans la médecine française, en tant que seule pratique chinoise [4] à avoir été institutionnalisée dans ce pays depuis les années 1940. Du point de vue méthodologique, l’analyse a été volontairement limitée au cas français. La France a cette particularité d’avoir été « le creuset où s’est développée l’acupuncture en Europe » (Bossy, 1980, p. 48) au XXe siècle. Ses rapports coloniaux avec la Chine et le Viêt Nam ont joué un rôle majeur dans cette réception. Ainsi, au XXe siècle, l’acupuncture qui est introduite en France depuis la Chine et le Viêt Nam est un savoir traversé par des relations de pouvoir. La notion de « tradition », en particulier, est ce lieu où se jouent ces enjeux de savoir-pouvoir, où se combinent des facteurs épistémologiques et politiques. C’est pourquoi, en se situant dans une perspective transnationale, l’analyse portera principalement sur les discours que les médecins français ont pu élaborer sur l’acupuncture et la médecine chinoise. Suivant Todorov, on définira un discours comme une « idéologie », i.e. « un ensemble de positions, d’attitudes et d’idées partagées par la collectivité à un moment de son histoire » (Todorov, préface à Said [1978] 2005, p. 7). En un mot, cet article vise à comprendre la réception de l’acupuncture en France dans une perspective transnationale (Chine-Viêt Nam-France), à partir des conditions épistémologiques et politiques de production du discours sur la tradition. Certes, une telle analyse gagnera à être complétée par des analyses comparatives. Le lecteur consultera avec intérêt la thèse de Lucia Candelise (Candelise, 2008) qui établit une comparaison de la médecine chinoise dans la pratique médicale en France et en Italie.
3L’établissement de l’acupuncture en France est envisagé à travers l’évolution de la notion de « tradition » [5]. Entre les fins des XVIIe et XIXe siècles, on parle en Europe de « médecine des Chinois » et d’« acupuncture ». L’expression « acuponcture chinoise » [6] apparaît entre les années 1930 et 1960. Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1960 que les expressions « médecine chinoise », puis « Médecine Traditionnelle Chinoise » s’imposent. Cet article montre que la réception progressive de l’acupuncture chinoise dans la médecine française au XXe siècle est étroitement liée au sens et à la valeur attribués à la « tradition ». Trois moments se distinguent dans les sources européennes produites lors de la période qui nous intéresse. Le premier est marqué par deux publications très documentées sur la médecine des Chinois, où la tradition est encore opposée au progrès, mais déjà perçue comme un vestige à conserver (1860-1902). Le deuxième moment est caractérisé par la première diffusion théorique et pratique de l’acupuncture en France, et par l’engagement d’un dialogue entre science et tradition (1930-1950). C’est ensuite l’opposition entre modernité et tradition – où la tradition est sacralisée – qui caractérise le troisième moment. Nous découvrirons que l’idée de tradition cristallise un ensemble complexe de relations politiques et de conditions épistémologiques. Il s’agit d’une part, des relations de pouvoir entre l’Occident conquérant et l’Extrême-Orient résistant, et d’autre part, de la confrontation entre des formes de savoir éloignées, relatives à la médecine occidentale et aux thérapies extrême-orientales (Chine, Vietnam) [7].
4Après un engouement sans précédent du Paris médical pour l’acupuncture entre 1820 et 1825, l’intérêt est rapidement retombé (Guilloux, 2006, pp. 130-137). Mais les sources utilisées datent de la fin du XVIIe siècle. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que de nouvelles descriptions de la médecine des Chinois – dont l’acupuncture – deviennent disponibles en France.
5Le premier ouvrage, La médecine chez les Chinois, est publié en 1863 par le capitaine Claude-Philibert Dabry de Tiersant, consul de France en Chine, membre de la Société asiatique de Paris. Ce travail a été réalisé à partir de dix ouvrages médicaux chinois, dont le Huangdi Neijing [8], le Bencao gangmu, le Zhenjiu dacheng. Dabry a activement participé à la Campagne de Chine (1860). Il a résidé en Chine de 1857 à 1871 en tant que consul à Hankou (Hubei). Son ouvrage, préfacé par le Pr. Léon Soubeiran (docteur en médecine, docteur ès sciences et professeur agrégé de l’École de Pharmacie) est destiné à la Société d’acclimatation. L’ouvrage présente de façon détaillée la théorie médicale des Chinois, les maladies (internes, externes, des femmes, des enfants), l’acupuncture, l’art vétérinaire. L’acupuncture (« tchin-kieou » [9]) agit sur deux principes: le mécanisme hydraulique du corps humain (sang, humeurs, esprits vitaux) qui apporte l’équilibre, la santé; l’air qui joue sur la fluidité des liquides (Dabry, 1863, p. 421). Après avoir décrit les « neuf espèces d’aiguilles » (ibid., pp. 422-423), l’auteur traite des « différents points d’élection en usage dans l’acuponcture, et [les] noms des maladies dont la guérison est liée à chacun de ces points » (ibid., p. 425): ces « points » ou « trous » se situent sur des vaisseaux (poumon, gros intestin, estomac, vessie, reins, etc.). L’auteur termine par la présentation « des maladies et de leur guérison par l’acuponcture ».
6Cet ouvrage présente plusieurs points communs avec les travaux produits par les jésuites et les médecins de la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales. Comme ses prédécesseurs, Dabry a accédé à des traités médicaux chinois. Il a été témoin de guérisons et défend l’utilité de la médecine des Chinois pour « l’humanité ». Enfin, il souligne que les Chinois sont « moins avancés que nous en anatomie, en pathologie et en physiologie ». Mais son discours sur la tradition diffère de ses prédécesseurs. En effet, jusqu’en 1825, le rapport au savoir antique était généralement un rapport de supériorité qui opposait la tradition au progrès [10]. En 1863, un nouveau rapport, positif, émerge. Dabry déplore que « la pure tradition de la théorie médicale [ne soit] parvenue jusqu’à nous que brisée par le temps, et remplie de lacunes très-regrettables » (ibid., p. XI). Il pense que la « science moderne aurait quelque chose à emprunter à l’antique civilisation chinoise. Il existe une source précieuse d’où peuvent sortir des découvertes utiles à notre humanité. Pourquoi attendre qu’elle disparaisse avant d’y avoir puisé? » (ibid., p. XII). L’intérêt de Dabry pour la tradition est celui d’un agent de la France colonisatrice au Viêt Nam et en Chine: « mon but n’a pas été seulement de chercher à introduire en France de nouveaux moyens thérapeutiques, mais surtout d’appeler l’attention des savants et des hommes dévoués qui composent cette Société [d’acclimatation] sur l’utilité qu’il y aurait à sauver du naufrage les débris de l’antique civilisation chinoise, et à étudier les richesses et les ressources du nouveau territoire que la France vient de conquérir dans cette partie du globe » (ibid.., p. VII).
7Le second ouvrage majeur intitulé Médecine et pharmacie chez les Chinois et les Annamites est publié en 1902 par le Dr. Jules Régnault. Ce médecin a séjourné au Tonkin de 1898 à 1900. Les riches informations qu’il a pu recueillir sont issues de discussions avec les médecins « indigènes » et de consultation de traités médicaux, notamment le Bencao gangmu de Li Shizhen et « un Résumé de médecine en cinq volumes » (Régnault, 1902, p. 6). Dans sa revue des publications françaises sur la médecine chinoise, Régnault cite le travail de Dabry, mais déplore l’absence de repères linguistiques (intonation, caractère) permettant d’identifier les médicaments décrits. Médecine et pharmacie chez les Chinois et les Annamites est composé de dix chapitres. Le premier donne un panorama de l’institution et de la littérature médicales en Chine. Le deuxième chapitre présente la théorie médicale chinoise: les principes actif yang et passif yin, les « douze organes et canaux de communication », les viscères dans lesquels résident ces principes, etc. Il aborde aussi des éléments diagnostics, la prise de pouls en particulier, et passe en revue les différentes thérapeutiques: les médicaments, les ventouses, la révulsion, les moxas, l’acupuncture, l’anesthésie générale et l’opothérapie. Les huit autres chapitres sont consacrés à différentes classes d’affection (celles liées à l’appareil respiratoire, à l’appareil circulatoire, à l’appareil digestif, au système nerveux), aux maladies dyscrasiques et infectieuses, aux maladies vénériennes, aux pathologies externes, aux maladies des femmes et enfin à la médecine légale, à l’hygiène, à la magie et aux superstitions médicales. En annexe, Régnault fournit au lecteur, entre autres, un « index pharmaceutique chinois » et un « petit lexique français-chinois-annamite à l’usage des médecins ».
8Dans son introduction, Régnault affirme vouloir « faire une étude très impartiale de la médecine des Chinois et des Annamites » (ibid., p. VIII) en évitant deux écueils: « Il ne faut pas être annamitophile ou sinophile au point de voir des merveilles là où il n’y en a pas; mais il ne faut pas, non plus, être trop plein de sa suffisance d’Européen, s’imaginer que tout est mal qui se fait autrement que chez nous » (ibid., pp. VIII-IX). Régnault poursuit sa critique de ces deux écueils dans sa conclusion. Les sinophiles, comme Gubler [11] et Perny (Perny, 1872), pensent que « la médecine chinoise, telle qu’elle se présente aujourd’hui, constitue les débris d’une science très avancée qui se déforme et décline entre les mains de praticiens souvent ignares; c’est encore une belle ruine qu’il faudrait restaurer ou dont il faudrait au moins recueillir les débris avant qu’ils ne disparaissent ». À l’opposé, les sinophobes, comme le docteur Matignon, pensent qu’une étude, « même la plus sommaire » [12], suffit à convaincre de la routine, de la stupidité et du traditionalisme en Chine. Régnault s’oppose à cette sinophobie en défendant la neutralité du scientifique: « Ne rien affirmer sans preuve. Ne rien nier a priori ». Il ajoute:
« Nous ne devons pas rejeter un fait comme “stupide” par cela seul qu’il est ou semble être en contradiction avec l’une des théories scientifiques actuelles. Nous reprochons aux Chinois leur traditionalisme outré, mais nous ne devons pas oublier que nous-mêmes sortons à peine d’un traditionalisme tout aussi exagéré; le temps n’est pas encore très éloigné où le meilleur argument était partout l’autorité du maître, que ce maître s’appelât Platon, Aristote, Thomas d’Aquin, Hippocrate ou Galien » (ibid., pp. 118-119).
9Régnault admet que la médecine chinoise est restée « stationnaire » (ibid., p. 120). Mais contrairement à Matignon qui voit là absence de progrès, il justifie ce savoir: « Ceux-ci ont observé les principaux phénomènes de la nature et de l’organisme, ils les ont soigneusement classés en se basant sur les analogies et en suivant la méthode synthétique ». Ce « cadre scientifique » se suffisant à lui-même, les médecins chinois n’avaient plus qu’à ajouter leurs observations au fil des siècles, pour finalement « conserver aussi intact que possible l’édifice scientifique ainsi construit ». Au contraire, en Europe, « depuis Bacon et Descartes, nous employons surtout la méthode analytique » en décomposant les éléments de la nature, en disséquant les organismes et en spécialisant finalement la science. « Nous allons de découverte en découverte, c’est le progrès ». Cette formulation du progrès est bien loin du discours hagiographique de son époque. Régnault semble même regretter la méthode synthétique lorsqu’il affirme: « Nous négligeons de plus en plus l’analogie et la synthèse comme méthodes générales. […] Bien rares, trop rares, sont les penseurs qui cherchent dans ces conditions à faire une synthèse des sciences et à se créer une théorie générale de l’univers ». Il est vrai qu’à l’opposé de cette spécialisation du savoir en Europe, « l’édifice scientifique » chinois peut séduire. D’ailleurs, à ceux qui ne jugent que par le progrès, Régnault répond avec pragmatisme:
« En ce qui concerne plus spécialement la médecine, les Chinois ont accumulé le résultat de plusieurs milliers d’années d’observations cliniques; à chaque symptôme correspond une indication spéciale; tout cela est classé et mis soigneusement en ordre; pourquoi changeraient-ils? Si cette absence de progrès est déplorable, elle n’est cependant peut-être pas plus préjudiciable aux malades que les bouleversements qui se sont produits chez nous quelquefois à tort dans la science médicale par suite de théories aussi passagères qu’exclusives » (ibid., p. 121)
10Au terme de cette argumentation, on se demande quelle est, au fond, la position de Régnault? Ce dernier rappelle que l’« opinion de Perny est trop flatteuse pour la médecine chinoise, les critiques du Dr Matignon sont outrées ». Il leur préfère l’« opinion plus modérée, plus juste » du Dr Bouffard (Bouffard, 1900), pour qui « la médecine de l’Extrême-Orient cédera finalement le pas à la médecine de l’Occident ».
« Mais, ajoute-t-il [le Dr Bouffard], il ne faudrait pas faire fi de la thérapeutique et de la pharmacopée chinoises, dans lesquelles il y aura beaucoup à glaner […] On se rendra compte alors que le médecin étranger devra non seulement accourir près du malade qui réclame ses soins, mais aussi observer, étudier et approfondir la médecine indigène et chercher à lui ravir ce qu’elle a de bon ».
11Faisant sienne cette idée du Dr Bouffard, Régnault achève sa conclusion sur l’exposé du « double but » de son ouvrage: « étudier la thérapeutique et la pharmacopée sino-annamites pour y glaner ce qu’il y a de bon; attirer la confiance des indigènes aux médecins français et par ce fait même étendre l’influence française » (ibid., p. 123). Car en possédant « quelques notions de médecine sino-annamite », le médecin européen peut mieux comprendre les troubles ressentis par le patient, et « laisser voir que les théories et médications chinoises lui sont connues, il gagne ainsi rapidement du prestige et une plus grande confiance ». Apparemment, le premier but semble subordonné au second: le rôle du médecin français étant de participer à l’extension de l’influence française en utilisant le savoir médical « indigène » pour gagner la confiance de la population. Le savoir médical chinois est instrumentalisé au profit de l’entreprise coloniale française. L’ouvrage s’achève donc comme un outil pour la pratique politique du médecin colonial. Toutefois, toute l’argumentation qui précède dépasse le simple instrumentalisme. En effet, dans l’ensemble de sa conclusion, Régnault ne cache pas que son intérêt pour la médecine chinoise va au-delà d’une nécessité instrumentale. On pourrait voir, chez lui, un attrait épistémologique – si ce n’est une admiration – pour la médecine chinoise. Même lorsqu’il veut éviter l’écueil du nostalgisme d’un Dabry, il semble y échapper difficilement. Voulant se détacher de la sinophilie de Dabry, il dit ne pas voir de débris de l’antique civilisation chinoise à sauver d’un naufrage. Selon lui, la médecine chinoise apparait plutôt comme un édifice scientifique stationnaire mais robuste, forgé par une méthode synthétique et une clinique séculaire. Or n’est-ce pas là une façon bien admirative de voir la médecine chinoise? N’est-ce pas souhaiter qu’une telle méthode puisse être ravivée en Europe? N’est-ce pas, au fond, attribuer à la tradition médicale une valeur que les progrès de la médecine en Occident ne peuvent effacer?
12Pour comprendre le changement du rapport à la tradition médicale chinoise dans les années 1860, il faut en analyser les conditions épistémologiques et politiques. Sur le plan épistémologique, la transformation philologique au XIXe siècle va permettre une connaissance positive de la langue chinoise. En effet, depuis le XVIIe siècle, l’Europe était enfermée dans la représentation d’un Orient originel, immuable, pur objet de savoir. Le chinois était alors considéré comme une langue hiéroglyphique, au même titre que la langue de l’Égypte ancienne (Pino et Rabut, 1995, p. 29). Au XIXe siècle, l’émergence de la nouvelle philologie permet de passer d’une hiérarchisation des langues selon leurs qualités de représentation à leur égalisation. « Désormais, toutes les langues se valent: elles ont seulement des organisations internes qui sont différentes » (Foucault, 1966, p. 298).
13Au plan politique, l’Europe passe de l’expansionnisme au colonialisme au XIXe siècle. À la période 1790-1825 succède une pénétration forcée en Extrême-Orient: en Chine, la première guerre de l’opium (1839-1842) est suivie d’une seconde guerre de l’opium (1856-1858); la conquête de la Cochinchine et le protectorat établi sur l’Annam et le Tonkin ont lieu entre 1859 et 1883; enfin, par la guerre franco-chinoise (1884-1885), la France impose sa présence religieuse, commerciale et administrative en Indochine et dans le sud de la Chine (Yunnan) au début du XXe siècle.
14Ainsi, l’orientalisme, défini comme un discours de domination de l’Orient par l’Occident (Said, [1978] 2005), se modernise au XIXe siècle [13].
« Lorsque, au XIXe siècle, l’orientalisme se constitue en institution, avec la fondation de la Société asiatique et le développement des enseignements du Collège de France et de l’École des langues orientales, le discours savant perdure mais la pratique orientaliste elle-même connaît de profonds bouleversements. Son fonctionnement est de plus en plus influencé par ses relations avec le pouvoir, par l’évolution des rapports politiques et militaires de la France avec les pays d’Orient. C’est alors que commence à se creuser le fossé entre l’orientalisme savant, attaché à pénétrer l’essence même des civilisations et leur contribution à l’histoire de l’humanité, et un orientalisme pratique, instrumental, auxiliaire du pouvoir politique » (Bergère, 1995, p. 13).
15Il ne faut donc plus seulement connaître, mais aussi conquérir. L’idéologie du progrès, jusque-là limitée à la classification des âges de l’humanité (Halleux, 1998, p. 414), se réalise dans la « mission civilisatrice » que se donne l’Occident. « L’orientaliste moderne est, à ses propres yeux, un héros qui sauve l’Orient de l’obscurité… » en le reconstruisant (Said, [1978] 2005, p. 144). Cela explique en partie au moins l’intérêt de Dabry et de Régnault pour la médecine des Chinois: en faire à la fois un département de la science française (un objet de musée) et une ressource de la puissance française (l’Indochine comme pharmacie potentielle). La tradition médicale a une valeur pour l’utilité et la richesse qu’elle représente en tant que ressource. Toutefois, le rapport de ces deux auteurs à « la pure tradition de la théorie médicale » [14] annonce une transformation profonde du rapport de l’Occident à la tradition: derrière l’instrumentalisation de la médecine chinoise, émerge un « nostalgisme » où le passé devient source de regret, où la tradition est perçue comme un âge d’or perdu. Certes, il y a probablement eu, à la base de toute forme d’orientalisme, un rapport nostalgique aux savoirs passés. Mais pour ce qui est de « la médecine des Chinois » en France, de la fin du XVIIe siècle aux années 1820, ce nostalgisme avait été éclipsé par un progressisme qui jugeait tout savoir médical à l’aune du savoir médical d’Europe et ne voyait dans la médecine des Chinois que croyances et superstitions [15]. L’orientalisme chez Dabry et Régnault est encore marqué par l’idéologie du progrès, mais il se distingue de l’orientalisme progressiste des médecins français des XVIIIe et XIXe siècles qui ne connaissaient la Chine qu’à travers leurs lectures. En tant que pratique, ce nouvel orientalisme revendique fermement l’instrumentalisation de la médecine « indigène » à des fins coloniales. Mais en tant que discours, il renverse le rapport entre tradition et progrès: il confère à la tradition, jusque-là considérée comme obstacle au progrès, une valeur positive. Sur deux niveaux distincts, la médecine chinoise peut alors être à la fois un outil politique et un objet d’admiration. Le lien venant du fait que le sentiment d’admiration pour la tradition entraîne l’argument de son utilité. Ainsi, l’orientalisme progressiste qui dominait va céder du terrain à un orientalisme nostalgique dans le XXe siècle à venir. Quel effet cette transformation aura-t-elle sur la réception de l’acupuncture? À court terme, les publications de ces deux auteurs n’auront pas d’impact sur la médecine française. Mais à long terme, en se développant tout au long du XXe siècle, ce « nostalgisme » va déterminer une réception positive de l’acupuncture en France.
16Vingt sept ans après Régnault, l’acupuncture réapparaît en France (Ferreyrolles et Soulié de Morant, 1979 [1929]). Ce deuxième moment de réception est marqué par la diffusion non seulement théorique, mais aussi pratique, de ce que Soulié de Morant appelle la « vraie acuponcture chinoise ». George Soulié de Morant est un diplomate français envoyé en Chine entre 1901 et 1909, successivement à Pékin, Shanghai, Yunnanfu (actuel Kunming). Il découvre l’acupuncture en visitant l’hôpital des missionnaires pendant une épidémie de choléra qui sévit à Pékin. Stupéfait par l’action de simples aiguilles sur les crampes, diarrhées et vomissements des malades, il se lance dans l’étude de cette thérapeutique. Grâce à sa « connaissance de la langue et de l’étiquette » (Soulié de Morant, 1972, p. 25), il noue des liens avec des médecins chinois et accède aux enseignements pratiques (prise de pouls, acupuncture) et théoriques (lecture de traités médicaux). Dans toute l’histoire de la réception de l’acupuncture en France, il sera le premier Occidental à connaître l’acupuncture chinoise, à la fois en théorie et en pratique.
17Ses principaux ouvrages sont le Précis de la vraie acuponcture chinoise (1934) et L’acuponcture chinoise (1957, posthume). Soulié de Morant est à l’origine de la traduction de « king » (jing) et « k’i » (qi) [16] par « méridien » et « énergie », notions couramment utilisées depuis au niveau international. Mais ce n’est que la façade d’une somme de travail en trois parties. Soulié de Morant a d’abord effectué la traduction de traités médicaux [17]comme le Zhenjiu yixue (« Étude facile des Aiguilles et Moxas », 1798), le Zhenjiu yizhi (« Connaissance facile des Aiguilles et Moxas », 1919) et surtout le Yixue rumen (« Porte d’entrée aux études médicales », 1575) et le Zhenjiu dacheng (« Grande perfection des Aiguilles et Moxas », 1601). Ensuite, il s’est appliqué à la réorganisation des données chinoises « selon la logique européenne » (ibid., p. 19). Enfin, il a fait preuve d’un souci constant d’expliquer l’acupuncture chinoise selon les connaissances anatomiques (positivité des points et méridiens) et physiologiques (action réflexe, relations pouls – système nerveux – organes). Dans son « Liminaire » à L’acuponcture chinoise, Soulié de Morant résume ainsi son œuvre: « exposer scientifiquement la Tradition antique » (ibid.).
18En 1931, Soulié de Morant voulait déjà réhabiliter l’acupuncture chinoise en dénonçant les préjugés de l’Europe sur l’absurdité des connaissances médicales, la magie, le charlatanisme: « Oui, il y a, en Chine comme ailleurs, des charlatans. Ils inventent comme ailleurs toute sorte de choses pour frapper la crédulité d’un public ignorant. Ce n’est pas là, certes, la vraie médecine. » Le vrai médecin Chinois, selon lui, soigne ses malades suivant des règles bien établies. Son art est basé sur les acquisitions des siècles passés, sur les résultats de l’observation et de l’expérience des anciens. Or, que ces acquisitions aient satisfait les malades pendant près de quarante siècles prouve à ses yeux, « qu’il y a quand même là quelque chose » qui mérite l’attention de la science (Ferreyrolles et Soulié de Morant, 1979 [1931, p. 26]).
19La vénération de Soulié de Morant pour la « Vérité », les « Anciens » et la « Tradition » se manifeste aussi dans ses propos politiques: « La vraie Chine est celle dont le passé est toujours vivant par la continuité de ses traditions, celle dont l’avenir immédiat et plus lointain pèse et pèsera lourdement sur les destinées de l’Europe » (cité par Chan Way Tim, 1987, p. 88). Mais la Chine traverse une crise politique dont l’Europe est la principale responsable: « Un blanc ne peut pas s’empêcher de juger que les blancs existent seuls sur la planète et que leurs pensées, leurs préjugés sont les seuls justifiables et acceptables. Sans l’Europe, il n’y aurait pas eu de guerre civile, ni de misère en Chine. La Civilisation chinoise ne serait pas empoisonnée par des concepts dont nous voyons maintenant l’erreur pour nous » (ibid., p. 87).
20Comme ses prédécesseurs, Soulié de Morant associe médecine chinoise et tradition. Mais la valeur qu’il attribue à la tradition diffère quelque peu. La tradition n’évoque plus un savoir ancien, probablement élaboré, qui s’oppose cependant au progrès des sciences (fin XVIIe – début XVIIIe siècle), ni seulement une perte regrettable (fin XIXe siècle), mais un savoir pur et encore vivant que l’Occident doit interroger. Ce nouveau rapport à la tradition s’inscrit dans les relations entre l’Occident et l’Extrême-Orient de la première moitié du XXe siècle. Pour Soulié de Morant, il n’y a pas de supériorité de l’Occident, mais un sentiment de supériorité qui empêche l’Occident de reconnaître la Chine dans sa vérité. Cette vision de la Chine et de la tradition médicale chinoise est déterminée par le contexte politique de l’époque. Soulié de Morant a séjourné en Chine entre 1901 et 1909, et son activité médicale et littéraire sur la Chine s’étend de 1910 à 1950. Il a vécu la chute de la Chine impériale et l’ère de la République de Chine. En effet, avant son arrivée, la Chine découvrait la puissance militaire des nations occidentales. La défaite face à l’Occident et au Japon (1894-1895) poussera de nombreux intellectuels et hommes politiques chinois à chercher une solution dans la « science », la « technique » et la « modernité » occidentales (Unschuld, 1985, pp. 230, 242). Ainsi, la médecine occidentale sera consacrée par la République chinoise au détriment des thérapeutiques chinoises jugées vieilles et dépassées. Menacés, les praticiens de médecine chinoise devront surmonter leurs oppositions séculaires (héritées des dynasties Song-Jin-Yuan) pour s’unir derrière une médecine chinoise (zhongyi) présentée comme un « système cohérent » (yin-yang, cinq phases, pharmacopée, acupuncture, moxibustion). La médecine démonique et les oracles bouddhistes sont ainsi écartés (Unschuld, 1985, p. 251). En 1929, l’Institut de Médecine Nationale (Guoyi Guan) est créé pour combattre la politique du Guomindang et forger l’« essence nationale » de la médecine chinoise (Farquhar, 1994: 13). La vision de la « vraie acuponcture chinoise » de Soulié de Morant est probablement influencée par l’émergence de cette médecine chinoise nationale.
21Le nouveau rapport à la tradition reflète également l’intérêt d’un groupe de médecins homéopathes français pour les médecines empiriques et traditionnelles. En effet, de retour vers 1910, Soulié de Morant ne diffusera l’acupuncture qu’à la fin des années 1920. Après avoir essuyé un « accueil de raillerie et d’incrédulité » (Soulié de Morant, 1979 [1932], p. 47), sa rencontre avec le Carrefour de Cos sera décisive. Ce groupe néo-hippocratique réunit des médecins homéopathes (dont les docteurs Thérèse Martiny, Marcel Martiny et Paul Ferreyrolles) passionnés par l’observation de « méthodes de diagnostic et de traitements plus ou moins hétérodoxes » (Martiny, 1959, p. 331). Le Carrefour de Cos est une manifestation du « holisme médical » renaissant dans la période d’entre-deux-guerres [18]. Il servira ainsi de support à la réception et à la diffusion de l’acupuncture, en fournissant, d’une part, les conditions institutionnelles, avec l’ouverture de consultations d’acupuncture dans des hôpitaux parisiens comme Bichat, Saint-Louis, Beaujon, Léopold Bellan, St-Jacques, Hahnemann, Saint-Antoine. Le groupe met, d’autre part, à disposition les outils de recherche de la médecine occidentale tels que l’anatomie et la physiologie expérimentale.
22Ainsi, comme Dabry et Régnault, Soulié de Morant voit en la médecine chinoise une tradition immuable. Mais pour les premiers, il s’agissait de conquérir la tradition, tandis que l’intention du second est d’échanger avec la tradition: la science médicale explique la tradition, la tradition enrichit la pratique médicale. La vision de Soulié de Morant se situe à la croisée de la conquête occidentale et de la résistance nationaliste chinoise. Elle occupe ainsi une place particulière dans le discours orientaliste, équilibre fragile entre le nostalgisme émergent de ses deux prédécesseurs (Dabry et Régnault) et l’opposition radicale entre traditionalisme et scientisme de la génération de médecins acupuncteurs à venir des années 1960-1970 (représentée par l’opposition entre les Drs Nguyen Van Nghi et Niboyet). Son œuvre marquera l’acupuncture française jusque dans les années 1960.
23Pour « exposer scientifiquement la tradition antique », Soulié de Morant maintenait en équilibre l’opposition entre modernité et tradition. Mais cet équilibre va se rompre. L’idée d’une médecine chinoise traditionnelle s’impose rapidement en trois décennies. En France, les premiers signes apparaissent timidement vers les années 1950. Le grand bouleversement se produit dans les années 1970, pour atteindre son apogée dans les années 1980, avec la labellisation de la « Médecine Traditionnelle Chinoise ». C’est en analysant le contexte politique en Chine et le contexte social en France que nous comprendrons le succès de la Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC).
24Lorsqu’il fut envoyé comme médecin de la marine au Tonkin en 1952 (Chamfrault, 1997, p. 56), le Dr. Chamfrault avait déjà « quelques années de pratique d’Acupuncture » (Chamfrault, 1964, p. 1). Souhaitant approfondir ses connaissances, il collaborait avec le lettré chinois Ung Kan Sam pour la traduction d’ouvrages médicaux anciens, comme le Neijing – le Suwen en particulier – et modernes, comme le Xin zhenjiuxue (Nouvelle Science de l’Acupuncture et des Moxas, 1951) du Zhu Lian. Ainsi, naîtra le premier des six tomes de la série Traité de médecine chinoise (1954-1969).
25Le lien entre médecine chinoise et tradition traverse toute l’œuvre de Chamfrault. Dès le premier tome, « Médecine Chinoise » est écrit en majuscules, et le recours aux « textes anciens » est présenté comme nécessaire car, selon Ung Kan Sam, il faut « “boire à la source”, c’est-à-dire recourir à Nei King [19] [qui] reflète tout l’esprit philosophique de la Chine antique » (Chamfrault, 1964, p. 11). Dans le deuxième tome, présentant les « textes sacrés », Chamfrault souhaite façonner « une véritable communauté de médecins acupuncteurs traditionalistes » (Chamfrault, 1957, p. 10). De son côté, Ung Kan Sam soutient que Neijing est « la base et le maître d’œuvre de la médecine chinoise » (ibid., p. 12). Ainsi, pour tous deux, la médecine chinoise est clairement rattachée à un passé (l’antiquité chinoise), un lieu (la Chine) et une théorie (la philosophie chinoise).
26La vision de la tradition est identique chez Soulié de Morant et Chamfrault. Mais Chamfrault insiste davantage sur l’exploration de la tradition que sur l’équilibre entre tradition et modernité, et n’hésite pas à critiquer Soulié de Morant: l’acupuncture ne se limite pas à l’existence de douze méridiens, des pouls radiaux et d’une seule énergie. D’ailleurs, l’acupuncture n’est qu’une partie d’un système médical: la médecine chinoise. Cependant, l’apport de Chamfrault se heurtera à l’école de Soulié de Morant, établie depuis les années 1930, et ne sera accueilli qu’avec modération dans le milieu des acupuncteurs. Son message ne rencontrera l’intérêt des médecins que vers la fin des années 1960.
27En 1969, le Dr. Nguyen Van Nghi collabore avec Chamfrault pour le sixième tome du Traité de médicine chinoise. Leurs travaux sont issus des « recherches effectuées, tant en Chine Populaire qu’au Nord Viêt Nam, dans les textes fondamentaux de la Médecine traditionnelle chinoise » (Chamfrault et Nguyen, 1969, p. 7). Ils s’inspirent notamment des « documents d’enseignements des Universités de Pékin et de Hanoi, recueillis sous le nom de Trung Y Hoc (Médecine Chinoise) [20] » (ibid., p. 11). Leur but est d’introduire un système médical complet, constitué de lois fondamentales (yin-yang, cinq éléments, cinq mouvements, six énergies), de différents types de méridiens (douze méridiens, méridiens secondaires, méridiens tendino-musculaires, huit méridiens curieux, douze vaisseaux luo transversaux, quinze vaisseaux luo longitudinaux, trois cent soixante-cinq vaisseaux), d’énergies variées (Yong, Wei, Ancestrale, Sang, Liquides organiques, Énergie mentale) et de techniques de diagnostic complémentaires (huit règles: yin-yang, intérieur-extérieur, froid-chaleur, vide-plénitude; quatre voies: voir, écouter-sentir, interroger, palper dont la prise des pouls).
28A ce stade, l’opposition entre les traditionalistes (représentés par le Dr. Nguyen seul, Chamfrault décédant en 1969) et les modernistes (représentés par le Dr. Jean Niboyet, successeur de Soulié de Morant décédé en 1955) devient inévitable. Lors du premier congrès de la Confédération Nationale des Associations Médicales d’Acupuncture en novembre 1970, Niboyet met en garde contre deux limites. La première est l’utilisation abusive de l’acupuncture: « Nous sommes des médecins occidentaux et nous devons regarder actuellement comme limités tous les cas où elle est moins active que notre médecine actuelle. C’est une limite que nous respectons. Sauf en cas d’échec de la médecine occidentale » (Niboyet, 1970, p. 11). La seconde limite que dénonce Niboyet est le « ridicule » de la « mode nouvelle » qui sévit chez certains acupuncteurs « originaires du Vietnam » (ibid., p. 13). Selon lui, on ne peut reprendre les données d’une « tradition millénaire » sans les vérifier expérimentalement et sans déconsidérer tous les acupuncteurs (ibid., p. 15). Nguyen rétorque qu’il ne fait qu’apporter des précisions et de l’ordre dans les travaux de Soulié de Morant qui souffraient d’un « manque de documentation » (Nguyen, 1971, p. 31). Mais au-delà, il s’agit pour ce médecine vietnamien de défendre une culture médicale jugée « obscurantiste », fragilisée par « des marchands, missionnaires et diplomates », et victime de l’européocentrisme (Nguyen, 1973, p. 1).
29Nous voyons que l’opposition entre les Drs Niboyet et Nguyen dépasse ces seules individualités. Ce sont deux idéologies qui s’affrontent. L’une scientiste [21], selon laquelle la tradition médicale chinoise est un ensemble d’hypothèses que la science moderne occidentale doit vérifier:
« Les hypothèses retenues sont celles de l’apogée [de l’acupuncture au XVIIe siècle]; elles sont logiques, sensées, dès que l’on a admis, à titre provisoire, la théorie de l’énergie. Il ne faut pas les confondre avec d’autres, pré-médiévales, ou au contraire datant de la décadence, depuis longtemps abandonnées, et qui font encore sourire les Chinois » (Niboyet, 1979, p. 22).
30À l’opposé du scientisme véhiculé par Niboyet, Nguyen Van Nghi incarne le traditionalisme émergent dans les années 1970. Certes, ce dernier incite à ne pas opposer le « pouvoir de synthèse » de la « tradition chinoise » et le « pouvoir d’analyse » de la « médecine occidentale », car leur alliance « pourra permettre de réels progrès dans l’art de soigner les hommes » (Nguyen, 1973, p. 2). Mais au-delà de la dimension thérapeutique, Nguyen considère que le regard scientifique est « limité, profane, en comparaison de la pénétrante puissance du regard traditionaliste » (Nugyen, 1974, p. 1): le premier s’arrête au « support objectif » de l’« Acupuncture », tandis que le second « révèle son essence, touche au mystère de son origine ». Nguyen considère « l’Acupuncture comme étant plus qu’une médecine »: en utilisant des « symboles traditionnels » universels, elle ouvre vers le domaine illimité de l’esprit, vers une « éthique », donnant « un pouvoir d’éclairage sur la globalité de l’être humain » (ibid., p. 2). Il ressort donc de cette opposition entre scientisme et traditionalisme un affrontement entre deux discours orientalistes. Le scientisme de Niboyet est un orientalisme progressiste duquel se détachaient Dabry et Régnault à la fin du XIXe siècle. À l’opposé, le traditionalisme de Nguyen Van Nghi est l’orientalisme nostalgique de Dabry et Régnault marqué par les nouvelles relations entre la Chine, le Viêt Nam et la France: cet orientalisme a en effet connu l’évolution des rapports de pouvoir entre l’Occident et l’Extrême-Orient, avec l’avènement de la République Populaire de Chine en 1949 et la décolonisation du Viêt Nam avec la guerre d’Indochine à partir de 1946 [22]. Il est donc clair que, pour Nguyen Van Nghi, médecin vietnamien acquis à la cause du Viêt Nam communiste, l’acupuncture est aussi le lieu d’une affirmation culturelle et politique, le terrain d’expression de la contestation de la domination occidentale (Guilloux, 2006, pp. 472-474) [23].
31Dans les publications, cette opposition se poursuit avec les premières analyses historiques de l’acupuncture française depuis les années 1930. Les traditionalistes vont distinguer deux grands moments (Schatz, 1975, 1982; Borsarello, 1975). Avec Soulié de Morant, l’acupuncture combinée à la neurophysiologie et à l’homéopathie fut réduite à un ensemble de points recettes, i.e. à une « aiguillothérapie ». Mais selon le Dr Jean Schatz (Schatz, 1979, pp. 67-68), les Drs Chamfrault et Nguyen Van Nghi ont introduit une acupuncture traditionnelle, « médecine à part entière », « authentique » « totale », « indéformable » qui, de plus, « éclaire les médecines du moment ». Schatz appelle les acupuncteurs traditionnels à « adapter la médecine de notre temps, en l’éclairant par les principes de l’Energétique universelle, conservés depuis l’époque du Nei Jing » (ibid.): c’est la tradition qui éclaire la modernité.
32Le courant traditionaliste domine rapidement le paysage de l’acupuncture française. L’expression « Médecine traditionnelle chinoise » apparaissait déjà en 1969, avec les docteurs Chamfrault et Nguyen, mais sa labellisation se fera au début des années 1980. Le premier ouvrage du genre est l’Aperçu de médecine chinoise traditionnelle (Larre, Rochat de la Vallée et Schatz, 1979). La revue du Dr. Nguyen, Le mensuel du médecin acupuncteur (1973-1982), deviendra la Revue Française de Médecine Traditionnelle Chinoise en 1983. Une analyse bibliométrique des publications en français depuis les années 1920 confirme cette labellisation à partir des années 1980. En effet, comme l’indique le tableau 1, l’occurrence des termes composés de la racine « traditio » dans les titres de publications depuis 1920 est maximale dans les années 1980 [24].
« traditio » | Total | % | |
---|---|---|---|
1920-1990 | 306 | 7102 | 4% |
1920-1930 | 0 | 36 | 0% |
1931-1940 | 1 | 118 | 1% |
1941-1950 | 0 | 87 | 0% |
1951-1960 | 6 | 476 | 1% |
1961-1970 | 12 | 420 | 3% |
1971-1980 | 75 | 2315 | 3% |
1981-1990 | 212 | 3650 | 6% |
33Depuis la fin du XVIIe siècle, l’Occident a toujours associé la médecine des Chinois à son caractère traditionnel. Mais ce n’est qu’au cours du XXe siècle que la Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC) apparaît. La MTC est le résultat d’un processus de traditionalisation combinant la politique de la République Populaire de Chine depuis 1949 et la critique de la médecine moderne en Occident.
34Que l’expression « MTC » soit apparue dans la seconde moitié du XXe siècle ne signifie pas qu’une tradition médicale chinoise attendait toute prête depuis des millénaires de recevoir le sceau de l’officialisation. Les recherches historiques des deux dernières décennies contestent l’idée d’une médecine chinoise unique, pure et immuable (Unschuld 1985; Farquhar 1994; Hsu 2001; Scheid 2002, 2007). Le profane voit la médecine chinoise à travers l’idée d’une MTC intemporelle. Or la MTC est un système récent qui ne résume pas toute la médecine en Chine. Elle reprend les principes fondamentaux de ce que Unschuld appelle la « médecine des correspondances systématiques »: le yin-yang, les wuxing (cinq phases) et le qi. Mais il existe, en Chine, d’autres formes thérapeutiques comme la « médecine démonique » et les « oracles bouddhistes ». De plus, la médecine des correspondances systématiques elle-même n’est pas apparue toute faite. Elle a emprunté ses fondements à la cosmologie chinoise, sous les Han, mais sans constituer un système cohérent (Scheid, 2007, p. 35). Ainsi, le Neijing auquel Chamfrault et Nguyen se réfèrent, « fut établi à partir de la réunion de manuscrits médicaux provenant d’écoles diverses, parfois remaniés, et mis en forme sous la dynastie des Han » entre le IIe et le Ier siècle avant notre ère (Despeux, 1989, p. 5). Enfin, à l’intérieur de cette médecine des correspondances systématiques, se sont succédé des périodes différentes: d’une transmission familiale on passe, sous les Song (960-1279), à une médecine centralisée, bureaucratisée, savante (Scheid, 2007, p. 37). Sous les dynasties Jin (1115-1234) et Yuan (1206-1367), les limites de la bureaucratie et l’émergence de nouvelles pathologies favorisent une activité médicale locale, centrée sur la réputation sociale du médecin. Cette multiplication de courants médicaux soulèvera des inquiétudes sur la fragmentation de la tradition sous les Ming (1368-1644) et les Qing (1644-1911). C’est pourquoi Hsu voit l’évolution de la médecine en Chine comme une série d’innovations, relevant de conventions et de controverses, de la combinaison de traditions différentes, de la réorganisation et de la réinterprétation des savoirs (Hsu, 2001, pp. 6, 10). La tradition médicale chinoise n’est donc pas statique. Comme le souligne Unschuld cependant, contrairement à la médecine en Europe qui a évolué par transformations conceptuelles profondes, « les changements qui se sont produits l’ont toujours été à l’intérieur du même dispositif […]. C’est la rencontre avec l’Ouest qui, pour la première fois, déclenche une vraie remise en cause » (Unschuld, 2001, p. 92).
35Comme nous le savons maintenant, la confrontation de la Chine aux puissances occidentales au XIXe siècle engendre la mise à l’écart de sa propre médecine au profit de la médecine moderne. Pour leur survie, les médecins de tradition chinoise se regroupent sous l’identité de la médecine chinoise (zhong yi). Avant l’avènement de la République Populaire de Chine (RPC), cette réorganisation est essentiellement locale (Farquhar, 1994, p. 12). Mais à partir de 1949, Mao Zedong souhaite unir médecines chinoise et occidentale, comme en rend compte sa célèbre formule, proclamée le 11 octobre 1958: « La médecine chinoise est une grande salle aux trésors ». Souvent lue comme une apologie de la tradition, cette affirmation est plutôt une exhortation des médecins de formation occidentale à étudier la médecine chinoise, afin de créer une nouvelle médecine. Mao ne prône pas le retour à la tradition, mais un « détour » par l’ancien pour le joindre au « moderne » (Taylor, 2005, pp. 220-221, 358; Hsu, 2007, p. 219). Cette démarche est suivie par un processus d’institutionnalisation de la médecine, concernant notamment la création de formations à grande échelle (Farquhar, 1994, p. 15), et un effort de standardisation du savoir fondé sur la relecture de l’héritage culturel chinois, en particulier sur la réinterprétation matérialiste du yin-yang et des wuxing, réduits aux cinq organes, etc. (Hsu, 1999, p. 223). Cette situation donne lieu à toute une série de publications, parmi lesquelles se trouvent le Xin zhenjiuxue de Zhu lian (utilisé par Chamfrault), l’Aperçu de MTC (Zhongyixue gailun) de l’Académie de MTC de Nanjing en 1958, et le Nouvel aperçu de MTC (Xinbin zhongyixue gaiyao) en 1972 (Taylor, 2005, pp. 145-7). Soulignons toutefois que cette nouvelle forme de médecine est traduite par « MTC » en Occident, alors qu’en Chine, « zhongyi » signifie « médecine chinoise ». Les Chinois ont donc « sciemment, laissé croire qu’il s’agissait tout bonnement d’une continuation de la tradition » (Unschuld, 2001, p. 93).
36Nous sommes face à une « tradition inventée » (Hobsbawm et Ranger, 2006). Reprenant Hobsbawm, Hsu relève trois caractéristiques de cette invention qu’elle applique à la MTC (Hsu, 2007, pp. 217-218). Elle note, d’une part, la rapidité du processus: entre les années 1950 et 1980, plusieurs dizaines d’académies et de manuels de MTC sont créés. D’autre part, la « dimension “en grande partie fictive” de la continuité avec le passé dont se réclame la tradition », que Hsu conteste toutefois. En effet, selon elle, cela reviendrait à nier l’existence des éléments de la MTC avant 1949. Hsu préfère situer cette invention dans un processus d’innovation de la médecine chinoise depuis son émergence sous les Han. Cependant, elle ne renie pas que ces éléments de la tradition ont été « décontextualisés du passé » et « réifiés en symboles de la “culture” ou de l’identité nationale » (Babadzan, 2004, p. 321) [25]. Enfin, la troisième caractéristique est la fonction politique et sociale d’adaptation et de cohésion dans une période de « transformation rapide de la société » (Hobsbawm et Ranger, 2006, p. 15). Cet « exercice d’ingénierie social » délibéré (ibid., p. 24) est corrélatif de « cette innovation historique relativement récente qu’est la “nation” ». La Chine Républicaine puis Populaire n’a pas échappé à un tel exercice pour affronter les transformations créées par sa rencontre avec l’Occident.
37L’invention de la MTC est un processus de traditionalisation, c’est-à-dire la construction d’un système cohérent comprenant les caractéristiques suivantes. Ce système est historiquement localisable, puisqu’il émerge progressivement depuis la fin du XIXe siècle, pour être solidifié sous la RPC. Il est constitué d’éléments du passé qui n’étaient pas explicitement unis. Il repose sur une idéologie conservatrice (le traditionalisme [26]) proclamant une identité et une essence culturelle. Il est destiné à assurer (à l’intérieur de la nation chinoise) et à représenter (à l’extérieur, aux yeux de l’Occident) une cohésion nationale. En d’autres termes, la traditionalisation de la médecine chinoise est un double processus épistémologique et politique entrepris par la nation chinoise émergente. Processus épistémologique de modernisation et de standardisation d’éléments choisis parmi les traditions médicales chinoises. Processus politique connexe d’identification de ce savoir médical à l’essence supposée de la Chine. Dans ce cas précis, traditionalisation et nationalisation sont intimement liées.
38La traditionalisation de la médecine chinoise n’est pas seulement confirmée par son essor en Chine, mais aussi par son succès en Occident. Comment l’expliquer? Selon Taylor (2005, p. 140), « l’intérêt guidant le transfert de la médecine chinoise en Occident à cette époque était largement nourri par une société d’après-guerre, postmoderne, désillusionnée, avec une perception croissante des limites et dangers de la science occidentale et soucieuse d’introduire une nouvelle vie dans leur société à travers des philosophies exotiques et inexplorées de l’être ». Le « Mouvement New Age des années 1960-1970 » tient une place centrale. Pour Linda Barnes, il s’agit de « donner du sens au temps et aux changements qui ne correspondent plus absolument aux paradigmes du progrès et de la modernité », en recherchant des « formules alternatives » (Barnes, 2007, p. 353). La Médecine Chinoise devient rapidement un de ces lieux d’attraction, que Barnes range parmi les « bricolages de la spiritualité New Age » (Barnes, 2004, citée par Taylor, 2005, p. 140). En effet, rappelons que dans l’esprit de la RPC, la MTC devait être une nouvelle médecine combinant l’ancien et le moderne. Dans les années 1970, l’analgésie acupuncturale que la Chine révèle à l’Occident symbolise cette nouvelle médecine. Pourtant, l’Occident s’intéresse moins aux progrès médico-chirurgicaux chinois qu’aux « racines traditionnelles de la Médecine Chinoise » (Taylor, 2005, p. 141). Ainsi, la MTC ne se diffusera en Occident qu’au prix d’une « réappropriation culturelle » (ibid., p. 140). Tout se passe comme si, pour pénétrer l’Occident, la MTC devait subir un filtrage: l’idéologie communiste chinoise est écartée, seul l’essentiel, perçu comme relevant de la tradition, est conservé.
39Pour la France en particulier, le succès de l’acupuncture fait partie du succès des médecines dites « parallèles » des années 1960-70. Selon Laplantine et Rabeyron, ce phénomène qui apparaît dans un contexte social contestataire est caractérisé par deux principes généraux: la mythologie du regret qui s’oppose à l’idéologie du progrès, et l’individualisme qui s’oppose à la massification de la société (Laplantine et Rabeyron, 1987, p. 32). À ces deux principes se rattachent quatre sous-principes (ibid., pp. 35-44). Le premier principe est la protestation humaniste qui désacralise la profession médicale et critique la « brutalité allopathique », notamment la chimiothérapie. Le deuxième principe correspond aux idées de globalité et d’endogénie par lesquelles le rapport normal-pathologique est pensé en termes d’équilibre-déséquilibre. Le troisième principe est l’opposition de l’idée du temps (dynamique de la maladie et expectation) à celle de l’espace (statique de la maladie et intervention). Enfin, le dernier principe est l’idée de nature qui inspire confiance, puisque guérir, c’est renforcer et non attaquer. De surcroît, la « mythologie du regret » exacerbe non seulement l’idée de nature, mais aussi l’idée de tradition qui lui est souvent associée. Dans les deux cas, on retrouve l’idée d’une origine pure et intacte d’un état (la nature) ou d’un savoir (la tradition) mais que l’irresponsabilité de l’homme aurait mené à sa perte. C’est dans le contexte social antimoderniste que ces deux idées vont devenir des lieux de refuge de la MTC.
40Ainsi, le succès social de la MTC en France, et en Occident en général, est en grande partie dû à la croyance en une médecine holistique, naturelle et millénaire, présentée comme « l’exact opposé de la médecine occidentale » (Unschuld, 2001, p. 20). Ce « pouvoir de conviction » de la MTC (ibid., p. 18) est l’effet combiné d’une demande de l’Occident et d’une réponse adaptée de la Chine. Favorisé par la reprise des relations diplomatiques entre la France et la Chine en 1964, il se traduit dans les années 1970 par une institutionnalisation sans précédent de l’acupuncture française: essor des associations d’acupuncture, structuration nationale, intégration universitaire avec la création d’un Diplôme Inter-Universitaire en 1987 (Guilloux, 2006, pp. 391-518).
41Nous venons d’analyser les conditions de la réception de l’acupuncture chinoise en France des années 1860 à 1980, en suivant l’évolution du sens donné à la tradition. Au tournant du XIXe siècle, le rapport entre « tradition » et « progrès » se modifie: la « tradition » est de moins en moins considérée comme un obstacle au progrès, elle se charge d’une valeur positive que traduit le caractère nostalgique des publications sur la médecine chinoise (Régnault, Dabry). Ce rapport nostalgique à un savoir effacé par le temps s’accroît tout au long du siècle: d’abord modérément, par une volonté de faire dialoguer science et tradition (Soulié de Morant), puis intensément pour conduire à la représentation d’une tradition immuable et sacrée (Chamfrault, Nguyen). La « tradition » est le théâtre d’enjeux épistémologiques et politiques qu’expriment des discours orientalistes tenus par les acteurs de l’acupuncture en France.
42Ainsi, l’appellation « Médecine Traditionnelle Chinoise », émergente dans les années 1970-80, n’indique évidemment pas que l’acupuncture ait enfin retrouvé sa vraie nature. En réalité, cette identité a été progressivement acquise durant le XXe siècle. Certes, la MTC n’est pas une pure invention de ce siècle car les éléments qui la composent existaient déjà. Mais ces éléments ont été réinterprétés, réorganisés et standardisés pour former un système cohérent censé synthétiser l’essence de la Chine. Autrement dit, la MTC est une tradition inventée, un produit du processus moderne de traditionalisation des trois premiers quarts du XXe siècle chinois. Parler de la modernité de la MTC n’a donc rien de paradoxal. Cela permet au contraire de rappeler le caractère absolument idéologique de l’opposition entre tradition et modernité.
43À son tour, la traditionalisation de la médecine chinoise est la conséquence de deux processus. Le premier date de la seconde moitié du XIXe siècle. Il est ancré dans des rapports de savoir-pouvoir entre l’Occident et la Chine, qui forcent cette dernière à se redéfinir. La médecine devient un terrain éloquent, puisque face à la médecine moderne dominante, les médecins de traditions chinoises doivent, pour survivre, se forger une identité médicale nationale chinoise. Le second processus, qui émerge parallèlement, se situe en Occident: la tradition se trouve progressivement investie du sens positif de savoir sacré. Cela ne devient possible qu’en chargeant la modernité d’un sens négatif: à l’idéologie du progrès qui a dominé jusqu’au début du XXe siècle, se substitue progressivement une idéologie du regret en Occident. Ainsi, la traditionalisation de la médecine chinoise est le produit des processus croisés d’adoption de et d’adaptation à la modernité de la Chine et d’une contestation de la modernité en Occident.
44La traditionalisation de la médecine semble donc déterminante dans la réception de l’acupuncture en France. La réception du savoir traditionnel chinois n’a pas été passive au cours du XXe siècle. Elle relève d’un processus actif combinant la traditionalisation de la médecine chinoise et son institutionnalisation dans la France médicale des années 1970-80. Autrement dit, la réception de l’acupuncture – et plus largement, de la MTC – en France n’est pas le résultat d’une simple diffusion venant de la Chine. Il s’agit d’un processus de « co-construction » d’un savoir médical entrepris par des acteurs chinois et français; processus se situant à la croisée d’intérêts épistémologiques et politiques [27].
45Comme annoncé dans l’introduction, la présente analyse trouve ses limites dans la question suivante: la traditionalisation était-elle un phénomène propre aux relations entre la France, la Chine et le Viêt Nam, ou concernait-elle l’ensemble des pays occidentaux ayant reçu la médecine chinoise dans les années 1970-1980? Dans son travail doctoral, Lucia Candelise a proposé une comparaison entre la France et l’Italie. Elle a souligné la spécificité de « l’acupuncture traditionaliste française ». En effet, l’enquête de terrain qu’elle a réalisée auprès de médecins français et italiens lui a permis d’affirmer que le traditionalisme des acupuncteurs français ne se retrouve pas chez les acupuncteurs italiens (Candelise, 2008, pp. 437-440). Lucia Candelise soutient même plus généralement que ce « caractère » traditionaliste français ne se retrouve « pas dans d’autres pays européens ou nord-américains » (ibid., p. 605). On peut souhaiter que de nouvelles études comparatives viennent enrichir son analyse.
46Merci à Laurent Pordié pour ses précieux conseils.
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